article de S Morin paru dans le magazine Faune Sauvage N° 291 | 2e trimestre 2011. Pages 28-33
Agrifaune et le bocage : à la reconquête d’un milieu multifonctionnel unique
article de la revue Faune Sauvage N° 291
6 pages / 419 ko
Le bocage est défini comme un « paysage d’enclos
verdoyants », caractérisé par un maillage de haies
interconnectées. Les exploitants agricoles sont parmi
les principaux gestionnaires de cet habitat qui peut évoluer
en fonction des politiques à grande échelle, mais
également en fonction d’un « effet agriculteur »
plus localement. Le regain d’intérêt pour la haie en tant
qu’élément productif et la prise en compte des besoins
de la faune sauvage pourrait permettre de maintenir
ce paysage, dans l’intérêt de tous.
C’est l’un des objectifs du programme Agrifaune
Les paysages de bocage sont souvent
associés à des activités agricoles de type
polyculture-élevage. À l’échelle nationale,
les grandes régions bocagères se situent
principalement dans l’ouest (Basse-
Normandie, Bretagne, Pays de la Loire,
Poitou-Charentes) et le centre du Pays
(Limousin, Bourgogne). Mais en fait ,
presque toutes les régions françaises sont
concernées par la présence de bocages
plus ou moins relictuels.
Que peut-on voir dans un bocage ? Des
haies, évidemment… Des haies vives ou
parfois taillées « au carré », des prairies
permanentes, des cultures, des bosquets,
des ronciers, des mares, des rivières au
cours sinueux bordées de bandes boisées
nommées « ripisylves », des zones
humides. Suivant les territoires, de drôles
de formes attirent l’œil : des arbres têtards
dans les bocages du Centre-Ouest, des
arbres d’émondes en Bretagne…, témoignant d’une exploitation traditionnelle des
arbres dans ces régions.
Une occupation du sol variée, la pré-
sence d’une diversité d’éléments fixes
naturels ou semi-naturels organisés en
réseaux et le polymorphisme de ces élé-
ments font du bocage un paysage relativement complexe dans son organisation ;
et par conséquent riche en biodiversité. Le
bocage accueille des espèces animales à
la fois de milieux ouverts, forestiers,
aquatiques
Le rôle indispensable des haies dans
l’accomplissement du cycle biologique de
nombreuses espèces animales est
aujourd’hui reconnu. Amphibiens, reptiles,
poissons, mammifères, oiseaux et insectes
ont la possibilité de se nourrir, de se
reproduire, de se reposer et de se déplacer au sein d’un bocage fonctionnel.
Si les chasseurs apprécient la diversité
du gibier, gros ou petit, présent en milieu
bocager, les naturalistes y relèvent quant
à eux la présence d’espèces plus ou
moins rares : rapaces nocturnes, chiroptères, insectes xylophages, loutres
Le bocage répond aux exigences biologiques de nombreuses espèces animales
dont certaines présentent un intérêt direct
pour l’homme. Ainsi, des haies intégrées
au sein d’un parcellaire agricole offrent un
habitat aux insectes pollinisateurs des
cultures, mais également aux prédateurs
de leurs ravageurs. Voir ci-dessous "Agrifaune en soutien à la lutte raisonnée
contre le campagnol terrestre dans le Haut-Doubs".
La haie est un allié potentiel pour les
agriculteurs. Dans les régions bocagères,
d’aucuns ne pourraient concevoir l’élevage d’un cheptel sans haies, mares et
arbres isolés dans les prairies. Les exploitants s’efforcent aussi de concilier
conduite des cultures et gestion des haies,
ces dernières faisant alors office de brisevent ; en outre, ils peuvent en tirer profit
régulièrement.
Car tel un forestier, l’agriculteur peut en
effet planter, entretenir et exploiter ses
haies de manière échelonnée, récolter du
bois d’œuvre de haute valeur ou du bois
de chauffage, ressource naturelle renouvelable. Ce qui contribue à
diversifier ses revenus en fonction des
essences présentes sur son territoire.
Une autre utilité de ces éléments fixes,
plus méconnue et développée au Qué-
bec, est la lutte contre les nuisances olfactives aux abords des élevages porcins,
grâce à l’implantation d’essences appropriées (ONCFS, 2003).
En matière de préservation de la qualité
de l’eau, la haie est reconnue comme un
élément jouant le rôle de « zone tampon ».
À ce titre, elle peut remplir différentes
fonctions au cœur des bassins versants
telles qu’une limitation du ruissellement,
la rétention des matières en suspension,
la limitation du transfert hydrique du
phosphore, de l’azote et des produits
phytosanitaires, la protection contre la
dérive aérienne lors de la pulvérisation
des produits de traitement, ainsi que la
préservation de la qualité biologique des
cours d’eau (CORPEN, 2007).
Le rôle antiérosif semble patent dans
des secteurs traditionnellement bocagers
et vallonnés, où des haies perpendiculaires
à la pente ont été supprimées : les collectivités doivent curer régulièrement les
fossés après les pluies, tandis que les
cultures présentent en leur sein de larges
trouées, leur sol étant devenu « stérile »
par endroits du fait du lessivage favorisé
par l’évolution du paysage.
Dans un contexte de lutte contre les
émissions de gaz à effet de serre, il est
également important de souligner que les
bosquets, haies, ripisylves, prairies et arbres
isolés des bocages participent de la
même façon que les forêts au stockage
du carbone présent dans l’atmosphère.
Par ailleurs, le paysage bocager fait souvent partie intégrante de l’identité d’un
territoire et contribue à son attractivité ; les
parcs naturels régionaux (PNR) situés en
région bocagère en sont une illustration.
Les habitants des bocages apprécient leur
cadre de vie ; il leur offre des activités
récréatives comme la pratique de la randonnée ou encore la cueillette des fruits
sauvages ...
Avec l’apparition de l’agriculture
moderne, le fait d’entretenir des haies
peut être perçu comme une contrainte
par certains exploitants, cette activité
semblant relever d’une agriculture rétrograde. Pour autant, les agriculteurs qui
gèrent le bocage durablement y trouvent
ou y retrouvent un intérêt pour la
conduite de leur activité de production. Ils
ont également le sentiment de contribuer
ainsi à l’intérêt général en favorisant
un environnement de qualité. Certains
d’entre eux, soucieux de concilier
agriculture et faune sauvage, pourraient
être considérés comme des pionniers au
regard des attentes de la société. Ils
témoignent volontiers de leur démarche
de reconquête du bocage dans le cadre
du réseau Agrifaune et de l’expérience
qu’ils ont acquise, non sans un certain
succès. Voir ci dessous : "Agrifaune en Saône-et-Loire : les actions « Bocage »"
C’est ainsi que le réseau Agrifaune peut
accompagner les exploitants dans une
démarche d’aménagement durable des
territoires, en les conseillant. Des informations dans ce domaine sont disponibles
auprès du Pôle bocage et faune sauvage
de l’ONCFS, qui a conçu un site Internet
(encadré 5).
La multifonctionnalité des bocages évoquée précédemment permet de comprendre l’importance de conserver ces
paysages. Conciliant productivité et naturalité, ces agro-systèmes structurés avec
« bon sens » peuvent être considérés
comme patrimoniaux.
Néanmoins, la conservation des
bocages ne doit pas signifier leur « mise
sous cloche ». Il s’agit de les gérer, en particulier les haies qui doivent être entretenues, restaurées et exploitées dans un
souci de renouvellement de leurs ressources à une échelle pertinente suivant
les outils de gestion mobilisables, voire
même à inventer (chartes, labels…) sur un
territoire. Voir ci dessous : "Agrifaune en Saône-et-Loire : les actions « Bocage »"
Quelle que soit l’échelle de travail, il est
souhaitable d’établir un diagnostic du
bocage qui soit de préférence concerté.
Ainsi, dans le cadre d’une exploitation
agricole, il est possible d’élaborer avec
l’agriculteur un plan de gestion de ses
haies pour en prévoir l’exploitation
durable (calendrier quinquennal des travaux). La conception de ce type de document de planification est l’occasion
d’échanger avec les exploitants sur l’intérêt
qu’ils portent à leurs linéaires boisés. Cela
peut aussi permettre de leur conseiller
des itinéraires techniques non préjudiciables – et même favorables – à la faune
sauvage. Un document de
gestion devra souvent concilier différents
objectifs suivant les enjeux définis à
l’échelle d’un territoire (eau, biodiversité,
énergie). Ce type d’outil est appliqué
exclusivement sur des zones à enjeux
prioritaires.
À des échelles plus vastes, il est possible
de réaliser un état des lieux du maillage
bocager à partir de photos aériennes ou
de relevés de terrain suivant les objectifs
fixés, afin de recueillir des références et
d’établir des cartes.
Ces outils
aideront à la planification d’une politique
paysagère (plantations de haies, plans de
gestion de haies et de mares). Les bases
de données constituées à l’aide de Systèmes d’informations géographiques (SIG)
peuvent contribuer à la mise en place
d’autres outils d’aménagement du territoire, tels que des documents d’urbanisme (Schéma de cohérence territoriale,
Plan local d’urbanisme). Il serait souhaitable que les zones bocagères soient bien
identifiées à l’échelle régionale puis nationale, et reconnues comme composantes
essentielles de la trame verte. En effet, le
fait d’inventorier est un préalable et une
étape nécessaire pour assurer une gestion
durable et cohérente des bocages français.
Dans les secteurs bocagers, les agriculteurs composent avec les particularités
naturelles de leur territoire et en tirent
souvent profit dans la conduite de leur
exploitation.
Le bocage semble être un agro-système
qualitatif optimal pour concilier productivité et biodiversité ; sa présence peut être
considérée comme indicatrice de milieux
relativement bien préservés. Néanmoins,
tous les bocages ne se ressemblent pas.
Ils peuvent être caractérisés par exemple
à l’aide de différents paramètres, tels que
la densité du linéaire de haies ou encore
la structure de celles-ci ; ces facteurs pouvant influencer l’hospitalité de ces milieux
pour la faune sauvage.
Idéalement , la connaissance des
bocages français devrait contribuer à leur
gestion durable. Au regard de leur multifonctionnalité, leur maintien semble fondamental à l’échelle nationale. Alors que
leur reconnaissance est plus ou moins
importante suivant les régions, les partenaires et agriculteurs du réseau Agrifaune
contribuent à l’acquisition de références
partagées autour de leur gestion en faveur
de la faune sauvage.
Merci à Arnaud Vaudelet et à Pauline
Audigier pour leur contribution aux travaux du Pôle bocage, aux ingénieurs et
techniciens développant des actions innovantes autour du thème de la haie dans le
cadre d’Agrifaune, ainsi qu’aux agriculteurs
et structures partenaires pour leur enthousiasme vis-à-vis des projets en cours et à
venir. "
CORPEN (Comité d’orientation pour
des pratiques agricoles respectueuses de
l’environnement). 2007. Les fonctions
environnementales des zones tampons :
les bases scientifiques et techniques
des fonctions de protection des eaux.
75 p. (http://www.developpementdurable.gouv.fr/IMG/pdf/DGALN_fonctions_environn_zones_temp_bd.pdf).
ONCFS. 2003. Journées d’études
européennes sur les bocages. Actes du
colloque de Cerizay. Poitiers. 124 p.
Tourneur, J.-C. & Marchandeau, S.
1996. Milieux bocagers et biodiversité :
les vertébrés du Grand Ouest. Enjeux
de la préservation de cet agroécosystème. Première partie : faune et bocage.
Bull. Mens. ONC n° 207 : 22-35.
Depuis la fin des années 1990, la Fédération régionale des chasseurs de FrancheComté, les Fédérations départementales des chasseurs ainsi que les Services
départementaux de l’ONCFS participent activement à la lutte raisonnée contre
le campagnol terrestre avec les Chambres d’agriculture et la FREDON1
C’est .
donc tout naturellement que le partenariat Agrifaune dans le Doubs s’est orienté
vers cette problématique.
En effet, la pullulation du campagnol terrestre est un fléau qui touche une
grande partie du département et engendre des désagréments ainsi que des
pertes financières très importantes pour les exploitations agricoles concernées.
La « boîte à outils » de la lutte raisonnée renferme plusieurs méthodes à combiner. La présence d’éléments fixes et l’hétérogénéité paysagère en font partie,
afin de favoriser une diversité des prédateurs du campagnol (rapaces nocturnes,
petits mustélidés) et de ralentir son expansion.
Dans le cadre d’Agrifaune en Franche-Comté, plus de 8 200 mètres de haies
doubles ont été implantés avec le monde agricole sur six communes. Ces haies
se trouvent au cœur des parcelles ou assurent la liaison entre le massif boisé
adjacent et le centre de la prairie concernée. Ces dispositions doivent permettre
aux petits prédateurs présents en lisière de venir jusqu’au cœur des prairies, ou
aux rapaces nocturnes de disposer de perchoirs et d’agir plus efficacement sur
la dynamique du campagnol.
J’ai planté, avec l’aide des fédérations des chasseurs, de la FREDON et des
chasseurs de l’ACCA locale, plus de 1 200 mètres de haies et des buissons sur
l’ensemble de mon exploitation. L’objectif premier de cette plantation est d’augmenter ma surface en biodiversité, afin de pouvoir souscrire la PHAE
2
sur mes
terres agricoles. D’autre part, j’essaye de m’intégrer dans le plan de lutte raisonnée contre le campagnol et la plantation de haies est l’un des moyens à mettre
en place pour y parvenir.
La plantation de haies sur mon exploitation est un investissement sur le long
terme. Les avantages qu’elles procurent ne sont pas encore visibles : je n’ai pas
le sentiment de voir plus de prédateurs du campagnol et les populations de ce
dernier n’ont pas diminué. Toutefois, je sais que dans plusieurs années, ces haies
constitueront l’un des outils de lutte contre ces micromammifères, mais aussi
un abri pour mon bétail, un brise-vent et un élément de la diversification paysagère des plateaux du Haut-Doubs.
1 FREDON : Fédération régionale de lutte et de défense contre les organismes nuisibles.
2 PHAE : prime herbagère agro-environnementale.
La convention Agrifaune en Saône-et-Loire a été signée en
2008. Trois thèmes de travail ont été retenus dont le thème
« Bocage » ou « Comment conserver des haies voire compenser leur disparition par d’autres éléments favorables à la
faune ? ».
Deux phases successives auprès des exploitants se sont
déroulées localement sur deux sites :
une phase de sensibilisation à la prise en compte de la
biodiversité dans leurs pratiques agricoles ;
une phase de choix des actions relatives au bocage à
développer sur le terrain.
Le premier site est situé en Bresse, à cheval sur trois communes. Le bocage bressan, à l’est du département, est isolé
géographiquement. C’est un bocage discontinu, originellement constitué de haies hautes encore majoritaires
aujourd’hui. Il est typique de cette région de polyculture et
d’élevage qui évolue vers la culture céréalière.
Les actions entreprises :
une recherche de cohérence avec les autres outils de
préservation du bocage. C’est particulièrement le cas avec
la mesure agro-environnementale relative à l’entretien du
bocage, proposée dans le cadre du document d’objectif du
site Natura 2000 de la Seille amont. Ainsi, une note de
préconisations a été fournie à l’opérateur par la FDC à propos des modalités d’entretien des haies. Ces préconisations
ont été prises en compte dans la rédaction du cahier des
charges proposé aux exploitants agricoles ;
la promotion de l’appel à projet « Bocage et paysages »
du conseil régional de Bourgogne relatif à la plantation de
haies, ainsi qu’un accompagnement des projets de restauration du maillage existant ;
l’intégration du bocage comme composante entière de
l’exploitation agricole, notamment en valorisant les produits
de taille : projet d’étude sur l’opportunité d’utiliser voire
d’acquérir du matériel de type lamier à scie pour l’entretien
des haies, la production de bois-énergie ou de compost ;
une information à l’attention des utilisateurs de matériels
d’entretien des éléments fixes du paysage. Elle s’adresse
notamment aux communes en charge de l’entretien des
dessertes communales, des chemins ou fossés des associations foncières ;
des bandes de cultures maintenues sur pied l’hiver, permettant de relier temporairement des éléments fixes du
paysage lorsque les haies ont disparu.
Le deuxième site est situé dans le Charolais, à cheval sur
trois communes. Les bocages de l’ouest du département
– dont le Charolais – sont caractérisés par une continuité
géographique, un maillage régulier et des haies basses taillées annuellement. Ce sont des régions dédiées à l’élevage
bovin, avec une SAU essentiellement herbagère. Parmi les
actions de conservation du bocage, plusieurs tronçons de
haies situés sur le site ne sont plus taillés annuellement mais
tous les deux ans. L’objectif est de permettre une fructification au moins une année sur deux des essences à baies,
ainsi qu’un élargissement progressif des haies concernées.